Métadiscours «Yaouled !»:Autobiographie ou exutoire d'un homme de science

 

Dr.Mehdi Souiah

Département de sociologie

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Université Oran2

 

 

 

 

 

Une phrase… la toute première d'un livre, est celle qui m'incite à formuler ce métadiscours. Il y est écrit : « Ce livre vous est destiné, vous qui avez l'âge de mes enfants et qui n'avez pas connu l'Algérie d'avant l'indépendance ». C'est par ces mots que Rachid Sidi Boumedine ouvre son récit autobiographique. Ce livre m'est destiné, je m'arroge donc le droit de le commenter.

Le récit autobiographique est un genre que j'évite de parcourir la plupart du temps. L'acharnement des auteurs à donner du relief à une existence, dans la majeure partie des cas, linéaire et plate, est ce qui sous-tend un tel rebut. Je suis conscient que ce n'est qu'une idée reçue dont je peine à me défaire. La même idée reçue qui me laisse penser que le « Yaouled ! » soit une exception susceptible de confirmer une règle, prétendument et cognitivement conçue, soit dit en passant.

Mon appréciation du livre ne concerne nullement le genre littéraire que Sidi Boumedine a ouvertement transgressé les règles. C'est pour cette raison que le texte mérite d'être lu et commenté. Ce récit, qui est loin d'être ordinaire, peut être résumé comme suit : Un trame historique, quelques épisodes d'une vie et surtout une somme non énumérable de digressions et de parenthèses.

A fur et à mesure qu'on avance dans le récit, une certitude commence à s'installer dans l'esprit du lecteur. Soit que le but de l'auteur n'est pas de raconter sa vie. La raison qui l'a mené à s'essayer au plus ennuyeux des genres littéraires est ailleurs.

J'ai d'abord connu Sidi Boumedine le sociologue-théoricien à travers un texte sans prétention, paru dans un fascicule publié par le collectif de recherche d'URBAMA en 1996, et dans lequel Sidi Boumedine tente de fournir un contenu à une notion qui, dans un contexte algéro-arabe, veut dire tout et n'importe quoi, une notion-galère,  celle de la « citadinité ».

Sans prétention certes, mais ce texte informe toutefois sur le souci du détail que l'auteur porte au plus profond de son être, et de la conscience poussée à l'extrême de la complexité de la réalité sociale. Ce souci du détails est également présent dans le « Yaouled ! ». Plus qu'un simple chronique de la ville d'Alger, ce que nous livre l'auteur est une véritable analyse de l'évolution de la société algérienne, à travers des scènes de la vie quotidienne du Clos Salambier des années cinquante, et d'historiettes sociologiquement significatives. Tout ceci me laisse penser que ce livre a été conçu par l'auteur comme un exutoire. Un moyen efficace que Sidi Boumedine a utilisé pour évacuer sa « frustration de praticien des sciences sociales ». Explication :

Être sociologue est d'abord et surtout un état d'esprit. Ceux qui ont fait de la sociologie leur vocation -à défaut d'être leur gagne-pain- le savent fort bien. Un état d'esprit qui, à la longue, devient gênant, parce qu'il empêche de mener une vie de manière tranquille et paisible. Et dans lequel on est continuellement opprimé par le sentiment de la nécessité de tout intellectualiser. Les 230 pages du « Yaouled ! » nous en fournissent la preuve, et dans lesquels l'auteur n'a pu s'empêcher de porter un regard critique des environnements sociaux dans lesquels il a pu évoluer.

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Tantôt à la manière de Bourdieu dans un effort braillement mené pour objectiver son expérience d'agent social.

Ce même effort d'objectivation qui le laisse dire avoir pu éclairer le fond du « complexe du pauvre », relatant ainsi un épisode de sa vie de l'exil : « c'est drôle le complexe du pauvre, écrit-il… car si j'avais de l'argent à cette époque, j'aurais bâfré sans scrupule, en disant : « votre fromage est fameux ! ». Mais fauché et affamé, je disais [lors d'une invitation]: « j'ai déjà mangé » ou, un mensonge transparent : « je n'ai pas faim », etc. » (p.140).      

C'est aussi pour le plaisir du lecteur qu'il formulera une définition de la « houma » ; celle du statut de l'Arabe dans une Algérie occupée ; il n'hésite pas à élaborer une hypothèse concernant le fait de se cacher pour manger ; et puis et surtout on y lit, sur trois pages, une belle analyse de l'acte de porter le voile. Ainsi ouvre-t-il son analyse en page 76 par le fait que dans le traitement de la question, les spécialistes français ont fait fausse route. Et si l'acte de porter le voile, peut-on se demander, n'était nullement le signe d'une quelconque radicalisation, d'un repli identitaire, mais seulement et simplement une manière de résister à un courant aliénant, de refuser la leçon des moraliseurs de la République, tout en ayant conscience que la laïcité, dans cette mécanique, est prise en otage. L'épisode de l'histoire que rappelle Sidi Boumedine vient en appui à cette dernière idée : Durant la guerre de libération, le port du voile « prenait valeur d'acte de résistance, y compris chez celles qui, autrement, s'en serait dépouillées. Le mouvement de Mme Massu a ainsi fourni un thème de résistance, mobilisateur à peu de frais, par le possibilité donnée d'exprimer publiquement une opposition à l’occupant et à ses mots d'ordre, et de le montrer sans coup férir »(p.77).

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Tantôt à la manière de Montesquieu préférant se mettre dans la peau de l'Autre au lieu de porter un jugement hâtif, susceptible d'être injuste. Tel un héritage, cette posture la doit à une leçon de vie, prodiguée par sa propre mère. Constatant que celle-ci régissait par les pleurs à un billet qui faisant état de la mort de huit soldats français en plein guerre de libération, il lui demandera : « Pourquoi pleures-tu ? » et elle de répondre : « Et eux, n'ont-ils pas de mamans ? » (p.35). Cette leçon aura le plus grand impact sur son parcours de critique de la réalité sociale. C'est par ce prisme qu'il expliquera la propagation des bidonvilles, « je n'ai jamais pu avoir, dit-il, un regard stigmatisant sur les bidonvilles et les quartiers populaires, peuplés de gens dignes et silencieux dans leur courage, face à l'adversité, et souvent disposées à aller au secours du voisin dans la détresse » (p.15) ; la montée de l’extrémisme religieux. La montée de l'islamisme dans sa forme la plus détestable n'incombe pas aux seuls islamistes, une part de la responsabilité nous est due. Il écrit à ce sujet : « on a substitué un essentialisme à un autre, et on a tout autant réduit sinon ignoré la place du social et de l'histoire »(p.129) ; le rapport d'altérité qui s'exprime parfois de manières très violente , il dit avoir appris à regarder autrement ceux qui n'étaient pas les siens « même s'ils ne me reconnaissaient pas, écrit-il, l'humanité que je leur accordais ; Dieu sait combien cela a été, et reste difficile » (p.36) ; etc.  

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« Yaouled ! » reste un grand livre, et parce que on y découvre une autre manière de penser le récit autobiographique, et parce qu'il offre, pour le praticien des sciences sociales, une palette des pistes de recherche intéressante pour qui saura le lire. Ceci dit, ma croyance demeure confortée dans le fait que ce livre a été pensé, plus qu'une autobiographie, autant comme exutoire, soit un moyen efficace pour évacuer la frustration de travaux non accomplis faute de moyens et/ou de temps. 

   

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